L’erreur sur la valeur de sa propre prestation | Commentaire de l’arrêt Cass. 3e civ., 17 janvier 2007, n°06-10442

« Qui ne parle pas ne trompe pas »[1]

Le consentement libre des vices est une condition sine qua non de la validité d’un contrat. Selon l’article 1130 du Code civil (ancien article 1109), l’erreur, le dol ou la violence peuvent justifier la nullité relative d’un accord de volontés s’ils ont affecté, de manière déterminante, le consentement de l’une des parties au moment de la conclusion de celui-ci.

En ce qui concerne l’erreur, la jurisprudence a fait des apports importants. Après la Réforme de 2016, ce vice du consentement est traité dès l’article 1132 au 1136 du C.civ. En intégrant l’acquis jurisprudentiel, le droit commun distingue les erreurs sanctionnées et les erreurs indifférentes[2]. Le premier type d’erreur va donc être le seul condamné par son caractère déterminant. À savoir, comme celui sans lequel « (…) l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes »[3]. Par contre, les autres ne seront pas sanctionnés. L’erreur sur la valeur, par exemple, appartient à cette catégorie d’erreurs indifférentes. C’est ainsi que, la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée le 17 janvier 2007 pour casser et annuler un arrêt rendu par une Cour d’appel qui sanctionnait une erreur sur la valeur.

En l’espèce, un propriétaire profane fut une promesse de vente à un acquéreur professionnel. Puis, celui-ci leva l’option et somma le promettant de passer l’acte. Le promettant assigna en justice l’acquéreur professionnel en demandant la nullité de la promesse de vente. La Cour d’appel de Paris fut droit à sa demandé par un arrêt du 27 octobre 2005. Selon le juge de fond, il exista une réticence dolosive déterminante du consentement en raison à que l’acquéreur professionnel ne révéla pas l’information qu’il posséda sur le prix de l’immeuble du promettant profane. Cependant, un pourvoi en cassation fut formé contre cette décision.

La question de droit était alors de savoir si la réticence d’information, par un acquéreur professionnel, sur la valeur de la prestation est une cause de nullité d’un contrat.

La Cour de cassation, au visa de l’article 1116 du Code civil, cassa et annula l’arrêt au motif que la Cour d’appel aurait dû conclure que l’acquéreur, même professionnel, n’est pas tenu d’une obligation d’information sur la valeur du bien acquis au profit du vendeur profane. 

Aussi bien convient-il de mettre en rapport l’étendu de la portée de la non-sanction de l’erreur sur la valeur de la prestation d’une part (I), et l’efficacité de l’obligation précontractuelle d’information d’autre part (II).


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I. La non-sanction de l’erreur sur la valeur de la prestation

L’erreur sur la valeur n’est pas sanctionnée par loi. Dès lors qu’il existe un accord de volontés, chaque partie possède l’obligation de faire son possible afin de se renseigner (A). Cela est une limite importante à l’obligation d’information au profit de l’acquéreur professionnel et profane (B).

A. L’obligation de faire son possible afin de se renseigner

Le devoir de loyauté de l’article 1104 du C.civ. impose à chaque partie une négociation, conclusion et exécution du contrat de bonne foi. Cette norme est d’ordre public. De manière que, comme prévue à l’article 1112-1 C.civ., la partie que connaît une information déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer. Les parties ne peuvent limiter ni exclure ce devoir[4]. Cependant, la norme n’a pas pour objectif de compenser l’imprudence de l’une des parties. En particulier, la Cour de cassation s’est prononcée en l’année 2000 sur l’information concernant l’appréciation économique de la prestation.

L’arrêt de la première chambre civil de la Cour de cassation du 3 mai 2000, dit arrêt Baldus, indiquait déjà « qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». L’idée implicite est donc une limite à l’obligation d’information générale[5], selon laquelle il est exclue de cette obligation la valeur de la prestation. Par conséquence, chacun des contractants, soit promettant soit bénéficiaire, soit vendeur soit acquéreur, doit d’assumer la tâche de faire son possible afin de se renseigner sur la valeur de la chose[6].

Cependant, dans l’arrêt à commenter, les juges de fond ont ignoré l’arrêt Baldus et ont fait droit à la demande du promettant. Selon la Cour d’appel de Paris, aucune obligation de se renseigner obligeait celui-ci en raison à deux faits. D’une part, ses circonstances spécifiques de vie. En effet, il était un « agriculteur devenu manœuvre marié à une épouse en incapacité totale de travail, ne pouvait lui-même connaître la valeur de son pavillon ». De l’autre, le fait que le bénéficiaire de la promesse était un acquéreur professionnel due à « sa qualité d’agent immobilière et de marchand de biens ». Pourtant, cet arrêt de la Cour d’appel, n’enlève-t-il toute portée au principe selon lequel la lésion « ne vicie les contrats que lorsque la loi en dispose expressément ainsi »[7] ? Ce raisonnement, n’est-il en contradiction avec la possibilité à tout contractant de faire une « bonne affaire » ?

B. Une limite au profit de l’acquéreur profane et professionnel

Auparavant, la Cour de cassation a retenu la sanction de nullité suite l’erreur sur la valeur lorsque celle-ci est provoquée par réticence dolosive. En effet, par un arrêt du 19 mai 1958 de la première chambre civile, la Cour indiquait que « Le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter »[8]. Cela était confirmé après, en 1971, lorsque par un arrêt du 15 janvier rendu par la même chambre, la Cour établissait que le dol peut résulter d’une simple réticence[9]. Ce raisonnement a été réitéré par un arrêt de la troisième chambre civil du 2 octobre 1974[10]. La jurisprudence a donc dégagé la réticence comme une manœuvre constitutive du dol, qui peut émaner du vendeur et de l’acheteur. Néanmoins, cette position de la Cour semblait interdire la possibilité de faire des « bonnes affaires » et même de mettre en place ce qui s’appelle « le bon dol »[11], en protégeant l’acheteur même contre son éventuel manque d’initiative de bien se renseigner.

Ainsi, dans l’arrêt à commenter la portée de l’arrêt Baldus est donc repris, voire étendue. En effet, l’obligation d’information est limitée pour l’obligation de se renseigner qui pèse sur chaque partie. Puis, cette limite est mise en place également dans le cas où l’une des parties est un acquéreur professionnel qui peut posséder des donnés très spécifiques sur la rentabilité économique de l’opération en question. C’est-à-dire, en l’espèce, la Cour ne fait pas une distinction selon le type d’acquéreur, par exemple, pour faire moins contraignante l’obligation de s’informer. La Cour de cassation impose donc à tout contractant, soit profane soit professionnel, le devoir de bien se renseigner sur la valeur de la prestation indépendamment de sa situation personnelle.

En outre, il convient remarquer que dans l’affaire le professionnel était un marchand de biens, profession qui ne vit pas de la confiance publique comme la profession de notaire, par exemple[12]. Cela est décisif, car dans le cas contraire, « on aurait pu imaginer que pèse sur le professionnel sinon une obligation d’information sur le prix au moins une obligation de mise en garde sur les risques et périls de l’opération »[13]. En l’espèce, on distingue des intérêts économiques antagonistes et donc une position implicite de la Cour de cassation selon laquelle, dans ce type de cas, il est tout à fait concevable de ne pas faire peser sur l’une des parties une obligation d’information sur la valeur de la prestation.  Ainsi, la troisième chambre civile de la Cour est percutante en déterminant « alors que l’acquéreur, même professionnel, n’est pas tenu d’une obligation d’information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Cela est justifié. Pourquoi la situation personnelle (élément non-contractuel) devrait-elle peser sur l’une des parties dans un contrat synallagmatique ? Imaginez la situation contraire, où celui qui invoque sa situation personnelle pour justifier son non-renseignement est un marchand de biens. Cela enlèverait toute valeur au principe de force obligatoire des contrats (article 1103 C.civ.), serait dangereux pour la sécurité des affaires économiques et contraire à toute protection du consommateur (en droit spécial).

Selon plusieurs auteurs, trois raisons principales justifient la solution adoptée par la Cour dans cette affaire. D’abord, car il faut que l’acheteur sache se défendre pour « ne pas devenir la dupe trop facile »[14]. Ensuite, puisque dans le cas contraire il existerait une contestation très large des contrats. Enfin, car compte tenu que les parties disposent de tous les éléments concernant la prestation[15], « (…) il leur appartient de bien évaluer la valeur monétaire, y compris en se renseignant auprès d’experts »[16]. En effet, le principe qui est implicite dans ces trois raisonnements est celui établi par la Cour de cassation dans l’arrêt du 30 mai 1927, selon lequel « qui ne parle pas ne trompe pas »[17]. Néanmoins, il convient maintenant analyser l’état de l’efficacité de l’obligation précontractuelle d’information suite aux changements introduits au Droit des contrats et des obligations par la Reforme de 2016.


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II. L’efficacité de l’obligation précontractuelle d’information

En intégrant la jurisprudence de la Cour de cassation, la Reforme au Droit des contrats et des obligations de 2016 a généralisé à tous les contrats le devoir d’information avec une antinomie (A). En conséquence, l’exception concernant l’estimation sur la valeur de la prestation consacrée après par la Loi de ratification de 2018, dans l’article 1137 alinéa 2 C.civ., met en question son efficacité (B).

A. La naissance d’une antinomie avec l’Ordonnance de 2016

La Reforme au Droit des contrats et des obligations de 2016 a mis en place l’acquis jurisprudentiel antérieur. L’Ordonnance de 10 février 2016 à crée l’article 1112-1 alinéa 2 C.civ., selon lequel le devoir d’information « ne porte pas sur estimation de la valeur de la prestation ». Cependant, la jurisprudence a aussi inspiré la création de l’article 1137 C.civ. à l’égard duquel « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre partie par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». Apparentement il existait alors une contradiction entre ces deux normes. D’un part, car, en principe, la valeur de la prestation est un donné très importante que, sans aucun doute, détermine le consentement des parties pendant la négociation d’un contrat. D’autre part, puisque l’article 1137 C.civ. peut être interprété comme la norme qui laisse l’article 1112-1 sans effets juridiques en qualifiant la réticence d’information sur la valeur comme un comportement dolosive. La portée de l’arrêt ici commenté, est-elle donc supprimée ? Doit-on obliger à tout contractant à toujours donner de l’information concernant la valeur de la prestation ? N’est pas le vendeur finalement obligé à faire son possible afin de se renseigner ?

La Reforme de 2016 a effectivement créé une antinomie entre la jurisprudence de la Cour de cassation et le nouvel Droit des obligations et des contrats. Elle a créé aussi une sanction de nullité en établissant à l’article 1139 C.civ., « L’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ». Certains auteurs ont formulé des solutions à ce désaccord. L’une d’entre elles était de restreindre le champ d’application de l’article 1139 au dol par acte et d’adopter une solution plus rigoureuse à l’égard de du dol exploité[18]. Toutefois, cette solution était toute suite abandonné compte tenu de ses effets à l’égard de la redéfinition du dol qu’elle supposait.

La Loi de ratification du 20 avril 2018 a explicité l’adoption de la solution finalement accepté, en ajoutant un alinéa à l’article 1137 ainsi formulé : « Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ». De manière que les deux normes sont aujourd’hui en harmonie.

Cependant, d’après certain secteur de la doctrine, cette position confirmée dans le Code civil après la Loi de ratification du 20 avril 2018, semble rester en contradiction avec l’obligation précontractuelle d’information inhérent à la majorité des contrats spéciaux et qui possède une importance notoire en Droit de la consommation. Sa propre effectivité est donc désormais mise en question.

B. Le débat qui s’ouvre avec le formalisme informatif

Un secteur de la doctrine voit avec étonnement la déconnexion entre la bonne foi et la sécurité juridique faite désormais par la loi[19]. Selon certains auteurs, la position favorable à la réalisation des « bonnes affaires » sous le raisonnement selon lequel l’obligation précontractuelle d’information ne porte pas sur le prix de la prestation, met en question l’efficacité de celle-ci.

En effet, ce courant estime que la réticence d’un acquéreur sur la valeur de la prestation porte atteinte au devoir « moralisateur » de bonne foi lequel, au même temps, est un composant inhérent de la sécurité juridique des affaires[20]. De manière que, contrairement à la position de la Cour de cassation dans l’arrêt ici commenté, ce secteur de la doctrine détermine qu’un acheteur qui garde silence sur la valeur de la chose vendue peut avoir un avantage de contracter à un prix « dérisoire » avec tout acquiescement de la loi, mais en dépit de l’équilibre contractuel et des intérêts du vendeur, voire la sécurité juridique.

De surcroît, un examen de l’alinéa 2 de l’article 1137 C.civ., peut conduire à mettre en question l’application de cette obligation en droit spécial fait par la Cour de cassation. En effet, plusieurs exemples démontrent qu’en droit spécial la Cour est plus sévère à l’égard du devoir de conseil qui pèse sur les établissements de crédit, par exemple.

L’arrêt rendu par la première chambre civile du 27 juin 1995[21], concernant à la portée du devoir de conseil établi par l’article 5 de la loi spéciale du 13 juillet 1979[22] (dérogée par le C.conso.), est un bon exemple. En l’espèce, la Cour a rejeté les pourvois de deux établissements de crédit pour considérer que la seule présentation d’une offre préalable de conformité avec la loi ne supposait l’accomplissement du devoir de conseil, voire, de l’obligation précontractuelle d’information. Alors, qu’elle est enfin l’efficacité de cette obligation sous le droit nouvel ? Il semble qu’une nouvelle antinomie est née.


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[1] Cass. Civ., 30 mai 1927. Cité en MALINAUD, P. ; MEKKI, M. et SEUBE, J.B. « Droit des obligations », Lexis Nexis, 15e édition, 2019, p.140.

[2] Cass. Com., 7 février 2012, n°11-10487.

[3] Article 1130 C.civ. :

«L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.

Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.»

[4] MALINAUD, P. ; MEKKI, M. et SEUBE, J.B. « Droit des obligations », Lexis Nexis, 15e édition, 2019, p.145.

[5] Cette obligation est un complément de l’obligation d’information établis en droit spécial dans les articles L.111-1 du Code de la consommation et l’article L.330-1 du Code de commerce

[6]RENAULT-BRAHINSKY, Corinne. « L’essentiel des grands arrêts du droit des obligations », Gualino, 2019-2020, p. 46.

[7]MALINAUD, P. ; MEKKI, M. et SEUBE, J.B. Ibid. p. 146 .

[8] Civ. 1re, 19 mai 1958, Bull. civ. I, n° 251. Cité en Dalloz-actu-etudiant-fr, en ligne, consulté le 5/12/2019, disponible sur https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/reticence-dolosive-rappel-des-elements-constitutifs/h/82b62a38eccb1c1aa5b6590f8346aa70.html

[9] LEVENEUR, Laurent. Code civil annoté. p. 1062.

[10] Ibidem.

[11] Ibidem. M. Leveneur indique : « On ne peut juridiquement qualifier de dol toute espèce de ruses ou d’artifices, et notamment les recommandations ou vanteries habituelles à l’aide desquelles un vendeur cherche à vendre sa marchandise ; s’il en exalte le mérite et la valeur, c’est à l’acheteur à savoir s’en défendre pour ne pas en devenir la dupe trop facile ».

[12] CAPITANT, H ; TERRE, F ; LEQUETTE, Y. ; CHENEDE, F. « Les grands arrêts de la jurisprudence civile », tome II, 13e édition, Dalloz, p. 68.

[13] Ibidem.

[14] LEVENEUR, Laurent. Code civil annoté. Edition 2020. Lexis Nexis, p. 1062.

[15]À cet égard, il est utile mentionner que par un arrêt du 3 juin 1995, la Cour de cassation a déterminé : « L’obligation d’information et de conseil du vendeur à l’égard de l’acheteur professionnel n’existe que dans la mesure où la compétence de celui-ci ne lui donne pas les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des biens qui lui sont livrés ». C. cass. 1er civ., 3 juin 1995, n°93-15.371.

[16] BENABENT, Alain. « Droit des obligations ». 18e édition, LGDJ, 2019, p. 95. 

[17] MALINAUD, P. ; MEKKI, M. et SEUBE, J.B. Op.cit. p.194.

[18] MALINAUD, P. ; MEKKI, M. et SEUBE, J.B. p.195.

[19]D. Mazeaud, « En contrat, trompe qui peut ! », Defrénois, 2000, n°19, p. 1110.   

[20] Ibidem. 

[21] Document 4 de la fiche de cette séance.

[22] Loi n°79-596 du 13 juillet 1979 relative à l’information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier. Abrogée par la Loi n°93-949 du 26 juillet 1993 relative au Code de la consommation.

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