La responsabilité pénale du président espagnol et des autres décideurs publics durant la crise sanitaire : l’ordonnance du 18 décembre 2020, Tribunal suprême espagnol

Veille de jurisprudence pénale

Le 18 décembre 2020, le Tribunal suprême espagnol a rappelé qu’il n’existe pas un régime dérogatoire à la responsabilité pénale en temps de crise sanitaire. Les magistrats ont souligné que ni l’indignation collective face à la tragédie occasionnée par la crise actuelle, ni le désaccord légitime avec les décisions gouvernementales, sont un fondement suffisant pour condamner pénalement à un décideur public. En conséquence, les magistrats ont averti que la qualification juridico-pénale d’un acte doit être strictement subordonnée à certains principes de droit (Tribunal suprême espagnol, chambre pénal, ordonnance du 18 décembre 2020, pourvoi n°20542).

Lien vers l’ordonnance du 18 décembre 2020 : Tribunal suprême espagnol, chambre pénal, ordonnance du 18 décembre 2020, pourvoi n°20542

Le droit espagnol n’adopte pas un régime dérogatoire à la responsabilité pénale en cas de crise exceptionnelle. Le 18 décembre 2020, la Chambre pénal du Tribunal suprême l’a ainsi rappelé lors de l’étude de la recevabilité de plus 30 plaintes pénales déposées ces derniers mois contre le président, les vice-présidents et les autres ministres, les juges des Tribunaux constitutionnel et suprême, le défenseur des droits et la présidente de la communauté autonome de Madrid, pour leur gestion pendant la crise sanitaire produite par la Covid-19 :

«(…) La déclaration de l’état d’alerte, en tant que régime constitutionnel de crise, projette ses effets juridiques dans de nombreux ordres différents, mais elle ne subvertit les prémisses sur lesquelles repose la responsabilité pénale. (…)

Prétendre le contraire ne peut que satisfaire ceux qui considèrent le droit pénal comme un instrument de rétribution aveugle et impitoyable, sans rapport avec les principes qui légitiment le reproche le plus grave qu’un État puisse faire, le reproche pénal. (…)».

Les plaintes accusaient ces décideurs publics d’avoir commis, principalement, le délit contre les droits des travailleurs (prévu aux articles 316 et 317 du Code pénal ), pour ne pas avoir fourni aux membres des forces de sécurité et au personnel sanitaire les moyens et l’équipement nécessaires à l’exercice de leurs activités ; et les délits d’assassinat et de blessures dus à une négligence grave (articles 142 et 152 du Code pénal ) suite à leur gestion qui, selon les plaignants, aurait causé un grand nombre de décès et de blessés dans des endroits tels que les maisons de retraite.

Toutefois, le Tribunal a rappelé que la responsabilité pénale des décideurs publics est attribuée de la même manière en temps normal et en temps de crise. En conséquence, les magistrats ont averti que tous les comportements socialement répréhensibles ne constituent pas un délit pénal. En effet, la qualification juridico-pénale d’un acte doit être strictement subordonnée, tout d’abord, au principe de légalité (articles 1 et 2, Code pénal ; articles 9 et 25, Constitution). Les magistrats ont souligné, à cet égard, que ni l’indignation collective face à la tragédie occasionnée par la crise sanitaire actuelle, ni le désaccord légitime avec les décisions gouvernementales sont un fondement suffisant. Il faut toujours se subordonner strictement à la loi pénale.

Ensuite, les magistrats ont fait référence au principe de culpabilité (article 5, Code pénal). Ils ont rappelé que la responsabilité pénale est exclusivement personnelle. Par conséquent, ce principe exige que la personne ou le décideur public auquel la responsabilité pénale est attribuée ait exécuté il-même le délit ou, dans les cas de coaction ou de complicité, ait eu un contrôle fonctionnel de l’acte. Ceci même dans le cadre d’une organisation ou d’une structure complexe et hiérarchique comme l’État, car ce fait ne peut conduire à des attributions objectives de responsabilité du seul fait du poste ou de la position qu’une personne en particulière occupe dans une telle hiérarchie.

Enfin, les magistrats ont fait référence à l’existence d’un lien de causalité (article 11, Code pénal ; arrêts STS n°468 du 15 octobre 2018 et STS n°135 du 21 mars 2018). En effet, l’imputation d’actes homicides ou de lésion ne peut être réalisée sur la base de statiques. Les magistrats ont souligné qu’il ne suffit pas d’affirmer que certaines décisions auraient pu réduire les statistiques qui définit les résultats catastrophiques de la crise sanitaire. En conséquence, l’imputation de la responsabilité pénale doit être fondée sur des preuves montrant qu’un comportement punissable a produit le résultat.

Pour ces raisons, le Tribunal suprême a conclu en l’espèce que ni la position des décideurs publiques dans la structure hiérarchique de l’Administration publique, ni l’établissement objectif de la violation d’une obligation légale, peuvent être suffisants pour donner lieu à l’ouverture d’une procédure pénale à leur encontre. Nonobstant, les magistrats ont rappelé que tous les dommages liés au fonctionnement anormal d’un service public sont directement indemnisables dans la juridiction contentieuse administrative, sans autre exclusion que ceux produits en raison d’un évènement constituant une force majeure (article 106.2 de la Constitution et articles 32 et suivants de la loi n°40 du 1 octobre 2015). Enfin, les magistrats ont affirmé que les dommages causés par des actions ou des omissions impliquant une faute ou une négligence sont également réparables mais dans le cadre d’une procédure civile (article 1902 du Code civil).

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