Veille de doctrine
Note de Gabriel DOMENECH, professeur de droit administratif à l’université de Valence, Almacén de derecho, 21 juillet 2020. Lien vers l’article : https://almacendederecho.org/comunidades-autonomas-derechos-fundamentales-y-covid-19
L’auteur a écrit cette note avec un double objectif. D’une part, expliquer les raisons pour lesquelles il défend que l’article 3 de la loi organique 3/1986 (connue en Espagne sous l’acronyme LOMESP) autorise les communautés autonomes espagnoles à adopter valablement des mesures sanitaires qui empêchent la résurgence du virus COVID-19 dans leurs municipalités. Cela, malgré le fait que ces mesures impliquent de graves restrictions aux droits fondamentaux de l’ensemble de la population et qu’elles soient postérieures au 21 juin 2020, date à laquelle a pris fin l’état d’alerte déclaré en Espagne par le décret royal 463/2020[1].
D’autre part, l’auteur critique l’auto du 12 juillet 2020 rendu par le Tribunal de première instance de Lérida[2]. Il a nié cette compétence et n’a pas autorisé la mise en œuvre de plusieurs mesures de ce type qui avaient été adoptées par la Généralité de Catalogne dans la région de Segriá. D’après le Tribunal, l’article 3 de la LOMESP est très « ambigu » et le gouvernement national est seul compétent pour adopter des mesures aussi importantes.
La LOMESP, relative aux mesures spéciales dans le domaine de la santé publique, autorise explicitement dans son article 3 aux autorités sanitaires autonomes à adopter tout type de mesures, de portée générale, qui soient considérées comme opportunes et nécessaires pour contrôler une maladie transmissible.
Certains ont souligné que cette norme permettrait aux autorités de prendre des mesures sanitaires individualisées affectant une personne ou un groupe donné, mais pas des mesures généralisées qui limitent les droits fondamentaux de larges secteurs de la population. L’auteur nie toutefois une telle interprétation de la loi organique.
Il rappelle d’une part qu’il n’est pas raisonnable d’interpréter une norme juridique d’une manière qui la priverait d’effet. En effet, la LOMESP ne fait pas référence à un nombre précis de personnes concernées. En conséquence, « si la loi ne fait aucune différence, nous ne devrions pas non plus »[3]. D’autre part, l’auteur évoque que l’article 81 de la Constitution espagnole, qui confère au législateur national le pouvoir de réglementer les droits fondamentaux par des lois organiques, n’empêche pas à une telle loi d’accorder aux autorités sanitaires communautaires le pouvoir de les restreindre dans un cas particulier. Les communautés autonomes exercent donc leur pouvoir de restriction des droits fondamentaux sur la base du mandat prévu à l’article 3 LOMESP.
En ce qui concerne l’adoption de ce type de mesures après la fin de l’état d’alerte, l’auteur rappelle que ni la loi organique 4/1981, sur les états d’alerte, d’exception et de siège (connue en Espagne sous l’acronyme LOEAES), ni l’article 116 de la Constitution n’exigent qu’un état d’alerte soit déclaré préalablement pour adopter des mesures sanitaires, de caractère général, en cas d’épidémie. L’auteur relève que même si une certaine contradiction existait entre cette loi et la LOMESP, celle-ci devrait prévaloir car elle est postérieure dans le temps (art. 2, paragraphe 2, Code civil espagnol).
D’après l’auteur, il est également faux et nuisible de déterminer que l’article 3 LOMESP est très « ambigu ». Cette norme ne porte pas atteinte au principe de légalité en raison de son indétermination excessive. L’auteur rappelle, à cet égard, que le Tribunal constitutionnel espagnol a déjà admis la possibilité que des règles limitant les droits fondamentaux soient indéterminées[4] . Il soulève d’ailleurs que les conditions qui doivent être respectées par les communautés autonomes afin de procéder à l’adoption de telles mesures se trouvent dans d’autres normes du Droit espagnol. Il rappelle enfin la garantie prévue par l’article 8 de la loi 29/1998 qui fait référence à la demande d’autorisation judiciaire pour l’exécution de ces mesures.
En ce qui concerne la compétence pour adopter des mesures sanitaires aussi importantes, l’auteur souligne que la loi 7/1985 confère des pouvoirs d’actions à plusieurs collectivités locales dans des situations d’urgence. L’objectif de cette norme est en effet d’atténuer le risque que certaines communautés autonomes ne soient pas en mesure d’exercer leurs pouvoirs, ou ne les exercent pas efficacement, en raison d’une collision de pouvoirs. En conséquence, l’auteur rappelle que, dans un tel contexte, le gouvernement national n’a pas des pouvoirs exclusifs.

[1] Le 14 mars 2020, le gouvernement a approuvé la déclaration de l’état d’alerte dans toute l’Espagne pour faire face à la crise sanitaire provoquée par le COVID-19.
[2] Décision du 12 juillet 2020 du Tribunal de première instance de Lérida : https://www.ecestaticos.com/file/34aeb9825c5b64249f740235af3c9964/1594595458-auto-2-covid-lleida-confinamiento.pdf
[3] ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus
[4] Voir, p.ex., l’arrêt STC 69/1989 : http://hj.tribunalconstitucional.es/es/Resolucion/Show/1275